Chronique d’un Français en 1940
Conférence de Jean-Pierre BONHOMME le 12 avril 2018 à St-Etienne
mardi 29 mai 2018
par FORAISON Christiane

Le conférencier, Jean-Pierre BONHOMME, nous retrace le parcours de son père, Paul, vécu au cours de la guerre de 39/45.

A partir du récit de Paul, écrit en 1980, du courrier échangé entre Paul et son épouse, conservé dans les archives familiales, d’une enquête de 8 ans ayant permis de retrouver la trace de 30 compagnons de Paul, complété par une enquête, in situ, sur les lieux de l’évasion de Paul, le conférencier nous fait revivre cette odyssée.

La fille de Jean LIMOUZIN, compagnon de son évasion, contactée par Jean-Pierre BONHOMME et qui l’a aidé à compléter ses informations, est venue assister à cette conférence.






Paul Bonhomme est né le 18/07/1914 à Feurs. C’est un employé de commerce. Il est incorporé le 15/10/1935 au 216° Régiment d’Artillerie et sert comme servant d’une batterie de 155. Il finit son service comme maréchal des logis (fourrier de la cantine). Libéré en 1937, il se marie le 07/01/1939 avec Suzanne JOURLIN, une institutrice de Feurs.

Il est mobilisé le 02/09/1939, son épouse est enceinte. Son régiment est dirigé sur la ligne Siegfried et restera en place de 10/1939 au 14/11/1939. Puis l’armée allemande se massant en Belgique, le régiment sera déplacé du côté de Nortkerque (62). Rien ne se passera jusqu’à la « blitzkrieg » déclenchée par l’attaque allemande en mai 1940. Cette période est qualifiée comme étant « la drôle de guerre ».


L’armée française sera maintenue en état d’alerte par le haut état-major en donnant de nombreux spectacles aux soldats désœuvrés. Pendant cette période d’attente nait sa fille Monique le 22/12/1939. Ce sera l’occasion pour Paul d’avoir sa première permission.

Le 05/05/1940 l’armée allemande attaque, le régiment de Paul se trouve proche du canal d’Anvers. C’est la débâcle pour les Français et Paul sera fait prisonnier, dans les environs de Lille, le 29/05/1940.


Les voies de communications des régions conquises par les Allemands, sont inutilisables et les prisonniers doivent rejoindre, à pied, la première ville frontière d’Allemagne Aix-la-Chapelle. Ce sera un parcours de 350 kms (50 kms le premier jour) dans des conditions de nourriture et de repos très difficiles. Puis un train emmènera les prisonniers jusqu’au camp de Lückenwalde, au sud de Berlin, à 700 kms d’Aix-la-Chapelle. C’est le Stalag IIIA dans lequel Paul portera le numéro de PG 36476.




Les communications avec la famille sont difficiles au début de la captivité. Pendant son parcours Paul avait écrit un mot à son épouse pour la rassurer. Il avait confié ce mot à un civil Belge au cours de son transfert. Ce mot est arrivé à Feurs en octobre.

Arrivé au camp, Paul peut envoyer une carte datée du 20/07/1940, elle parviendra à son épouse le 10/08/1940. La réponse immédiate de Suzanne sera reçue le 15/09/1940. Paul répondra de suite et son courrier arrivera le 12/11/1940.

Paul sera affecté à un kommando de travail (516A) situé à Velten Mark, à 90 kms au Nord du camp, et travaillera dans un atelier de fabrication de galoches (pantinen). Il y restera jusqu’au 12/03/1941, passant, avec d’autres camarades, son premier Noël en captivité, loin de sa famille. Petite consolation, les PG peuvent recevoir des colis de nourriture ce qui permettra l’organisation d’un réveillon fait, tout de même, de plus d’imagination que de véritables gâteries.

Début mars 1941, les sous-officiers PG, conformément aux accords de Genève, refusent de travailler. Ils sont alors renvoyés au camp central du Stalag à Lückenwalde le 13/03/1941.


Les sous-officiers réfractaires seront orientés sur un nouveau camp, à Wustrau, à 40 kms de Berlin. Les conditions de vie sont dures, le camp est dirigé par des SS.


Paul va croiser deux ecclésiastiques au destin extraordinaire. C’est le cas du diacre Francis BITAUDEAU rentré en France en 12/1942 pour être ordonné prêtre puis réintégrant son camp de prisonniers. L’autre cas est celui de l’abbé Maurice GACON, c’est à lui que Paul confiera tous ses trésors de PG et que Maurice lui rapportera en juin 1945 à sa libération.

Puis les réfractaires seront dirigés sur un nouveau camp : Musergine, à 30 kms à l’Ouest de Berlin. C’est dans ce camp que Paul recevra un message caché (dans une figue) lui donnant le nom d’un passeur français susceptible de l’aider à gagner la liberté. C’est son frère qui lui communique cette information.

Pour pouvoir s’évader, Paul décide de revenir dans le camp central de Lückenwalde, pour y prendre un travail lui permettant de sortir du camp. C’est ce qu’il obtient le 01/08/1941. Il sera affecté dans une usine de décolletage à l’extérieur du camp.

A partir de cet instant il va rassembler les éléments nécessaires à son évasion : des vêtements civils (taillés par des tailleurs PG yougoslaves dans une couverture), des faux papiers (copiés sur des vrais papiers empruntés et imités par un PG travaillant dans l’imprimerie du camp), des communications avec la famille par le biais des PG rapatriés sanitaires ou autres. Paul choisira deux compagnons d’évasion : Jean LIMOUZIN (de Firminy) et Marius MEYRIEUX (de Saint-Jean-Bonnefonds).

Le plan est arrêté : sortir du camp, quitter la colonne de travail, s’habiller en civil, acheter les billets de train et se rendre à Thionville chez le passeur indiqué dans le message caché dans la figue.

Le 15/12/1941, c’est un dimanche. Avec ses copains les plus fiables, Paul prend son dernier repas. Le lendemain, lundi 16/12/1941, c’est le départ pour la liberté à 6h du matin.

La maîtresse allemande d’un autre PG les aidera à prendre leur billet de train, mais elle veillera à ce que son amant français n’accompagne pas les évadés.

Le voyage en train se passera sans vraies difficultés, leurs faux papiers étant parfaitement imités.

A Thionville, rebaptisé Diedenhofen par les Allemands, ils sont en zone annexée. Ils se rendent chez Madame DESCHAMPS, la mère de la fiancée d’un PG resté au camp, chez qui ils devaient se rendre, porteur d’un message pour la fiancée. Puis ils sont pris en charge par Nicolas WEILAND le passeur indiqué sur le message. Il s’occupera des évadés les 18 et 19/12/1941. Le 19, Nicolas confiera les évadés à un second passeur, Vincent PIWOWARCZYK, qui les fera passer en zone interdite entre Moyeuvre-Grande et Joeuf-Homécourt, dans la nuit du 19/12. Ils seront alors hébergés chez un autre couple de passeur Wladislaw et Walia SUROWY. Le 20/12, Wladislaw les emmènera chez un quatrième passeur, à Joeuf, Emile PELTIER. Ils resteront deux jours, le temps qu’on leur refasse des papiers leur permettant de circuler en zone occupée. Le 22/12/1941 ils se rendront en car à Nancy. Dans le car, Paul va reconnaître un copain de basket (du club des Coquelicots à Saint-Etienne) : Albert LUCAS. Ils sont sept évadés dans ce car. Albert LUCAS va leur indiquer le nom et l’adresse d’un passeur à contacter à Besançon au café de Lyon.

Ils passeront la nuit du 22/12 chez un bijoutier de Nancy, indiqué par Nicolas WEILAND, le passeur de Thionville.

Le 23/12/1941 ils se rendront à Besançon et prendront contact avec le passeur un dénommé Monsieur LOUIS.

Le soir du 23/12, selon les instructions de Monsieur LOUIS, ils se rendront en train à Liesle (à 30 kms de Besançon). Sur le quai de la gare ils sont quatre-vingts candidats au franchissement de la ligne de démarcation qui se trouve à 10/12 kms de Liesle.



Sous la conduite de Monsieur LOUIS et d’une demie douzaine d’autres volontaires, la colonne d’évadés, de réfugiés, de fuyards, composée d’adultes, d’enfants, de personnes âgées franchira, saine et sauve, la ligne de démarcation dans la nuit du 23 au 24/12 et arrivera à Ounans en zone libre. Paul enverra un télégramme à sa famille pour annoncer la réussite de son évasion.

En car les évadés iront jusqu’à Lons le Saunier, puis ils prendront un train qui les amènera à Lyon en gare de Perrache où ils arriveront à minuit la nuit de Noël. Paul sera accueilli, sur le quai de la gare, par son beau-père, venu le chercher en voiture, et son épouse, laquelle ne le reconnaîtra pas instantanément, il avait perdu 25 kg. Il pourra enfin découvrir sa fille qu’il n’a pas revue depuis avril 1940.